
Face aux tribunaux, le droit à un avocat constitue un pilier fondamental des systèmes judiciaires démocratiques. Lorsqu’un justiciable ne peut désigner son propre conseil, l’institution de l’avocat commis d’office intervient pour garantir l’accès au droit. Toutefois, cette désignation peut parfois se heurter à un refus, qu’il émane de l’avocat lui-même ou du justiciable concerné. Ce phénomène soulève des questions juridiques complexes à l’intersection des droits de la défense, de la déontologie professionnelle et de l’organisation judiciaire. Quelles sont les implications d’un tel refus? Dans quelles circonstances peut-il survenir légitimement? Comment le système judiciaire français répond-il à ces situations qui mettent en tension plusieurs principes fondamentaux?
Fondements juridiques et principes directeurs de la commission d’office
La commission d’office d’un avocat s’inscrit dans un cadre normatif précis, tant au niveau national qu’international. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit à un procès équitable, incluant notamment le droit pour tout accusé de « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». En droit interne français, ce principe est relayé par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et trouve sa traduction dans plusieurs dispositions législatives.
Le Code de procédure pénale organise précisément les modalités de désignation des avocats commis d’office. L’article 114 prévoit notamment que le juge d’instruction doit aviser l’accusé de son droit de choisir un avocat ou de demander qu’il lui en soit désigné un d’office. De même, l’article 417 dispose que si le prévenu n’a pas fait choix d’un défenseur avant l’audience, le président lui en fait désigner un d’office, si le prévenu le demande.
La commission d’office repose sur plusieurs principes directeurs:
- Le principe d’égalité devant la justice, qui implique que tous les citoyens, quelle que soit leur situation financière, puissent bénéficier d’une défense effective
- Le principe du contradictoire, qui nécessite que chaque partie puisse faire valoir ses arguments
- La présomption d’innocence, qui justifie l’octroi d’une défense professionnelle
- L’indépendance de l’avocat, y compris lorsqu’il est commis d’office
Sur le plan organisationnel, la commission d’office est gérée par les barreaux qui établissent des listes de permanence. Le bâtonnier ou son délégué procède à la désignation selon un système de rotation. Cette désignation intervient généralement dans trois types de situations: l’aide juridictionnelle (lorsque le justiciable dispose de ressources insuffisantes), les procédures d’urgence (comparution immédiate, garde à vue) ou les cas où la présence d’un avocat est obligatoire (comme en cour d’assises).
La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique a considérablement renforcé ce dispositif en organisant un système de rémunération des avocats commis d’office, transformant une obligation traditionnellement bénévole en prestation rémunérée selon un barème fixé par l’État. Cette évolution a marqué une reconnaissance de l’importance sociale de cette mission tout en cherchant à garantir sa qualité.
Néanmoins, malgré ce cadre apparemment solide, des situations de refus peuvent survenir, posant des défis juridiques et pratiques considérables pour l’administration de la justice.
Les motifs légitimes de refus par l’avocat
Bien que la commission d’office constitue une obligation professionnelle pour l’avocat, le Code de déontologie des avocats reconnaît certaines circonstances où un refus peut être considéré comme légitime. Ces situations d’exception méritent d’être analysées avec précision car elles mettent en balance plusieurs impératifs parfois contradictoires.
Le conflit d’intérêts représente le premier motif légitime de refus. Un avocat ne peut accepter une commission d’office s’il a déjà défendu une partie adverse dans la même affaire ou une affaire connexe. La Cour de cassation a confirmé cette position dans plusieurs arrêts, notamment dans sa décision du 15 mars 2017 où elle a considéré que l’avocat doit se déporter lorsqu’il existe un risque sérieux d’atteinte au secret professionnel. Ce principe s’étend aux situations où l’avocat a pu acquérir des informations confidentielles susceptibles de compromettre sa loyauté envers son nouveau client.
La conscience professionnelle constitue un autre motif valable. L’avocat peut refuser une commission d’office s’il estime ne pas disposer des compétences spécifiques requises par la nature de l’affaire. Cette hypothèse concerne particulièrement les dossiers hautement techniques ou spécialisés. La jurisprudence disciplinaire des conseils de l’ordre reconnaît ce motif, à condition qu’il ne serve pas de prétexte systématique pour éviter les commissions d’office.
L’indisponibilité matérielle peut justifier un refus lorsque l’avocat fait face à une impossibilité objective d’assurer correctement la défense en raison d’engagements professionnels préexistants incompatibles. Le Conseil National des Barreaux a précisé dans une résolution du 9 décembre 2011 que cette indisponibilité doit être réelle et non simplement fondée sur une préférence pour d’autres activités.
- La charge de travail excessive déjà supportée par l’avocat
- Les contraintes géographiques rendant impossible une défense effective
- L’existence d’une maladie ou d’un empêchement personnel grave
Les convictions personnelles de l’avocat peuvent constituer un motif de refus dans des circonstances exceptionnelles. La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu, dans l’arrêt Artico c. Italie du 13 mai 1980, que l’effectivité de la défense pouvait être compromise si l’avocat était contraint d’agir contre ses convictions profondes. Toutefois, ce motif est interprété restrictivement pour éviter qu’il ne devienne une échappatoire systématique.
Enfin, l’attitude du justiciable lui-même peut justifier un refus lorsqu’elle rend impossible l’établissement d’une relation de confiance minimale. Si le client refuse catégoriquement de communiquer avec son avocat, menace ce dernier ou adopte un comportement rendant impossible l’exercice normal de la défense, l’avocat peut demander à être déchargé de sa mission. Cette position a été confirmée par la Chambre criminelle dans un arrêt du 27 mai 2009.
Dans tous ces cas, l’avocat qui souhaite refuser une commission d’office doit suivre une procédure formelle en adressant une requête motivée au bâtonnier, qui appréciera le bien-fondé des motifs invoqués avant d’autoriser ou non ce refus.
Le refus émanant du justiciable : droits et limites
Le refus d’un avocat commis d’office peut provenir non seulement du professionnel désigné, mais aussi du justiciable lui-même. Cette situation soulève des questions juridiques spécifiques concernant l’équilibre entre le libre choix du défenseur et les nécessités de l’administration de la justice.
Le droit au libre choix de son avocat constitue un principe fondamental reconnu tant par le droit européen que par le droit interne français. Ce principe n’est toutefois pas absolu lorsqu’il s’agit d’un avocat commis d’office. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans l’arrêt Croissant c. Allemagne du 25 septembre 1992, a établi que les autorités judiciaires peuvent passer outre les préférences de l’accusé lorsque des motifs pertinents et suffisants existent.
En droit français, le justiciable peut exprimer un refus pour plusieurs raisons légitimes. La méfiance justifiée à l’égard de l’avocat désigné, lorsqu’elle repose sur des éléments objectifs comme un manque d’implication manifeste ou une connivence avec la partie adverse, peut être prise en compte. De même, une incompatibilité personnelle grave ou une rupture de communication avérée peuvent justifier une demande de changement d’avocat.
Procédure de contestation par le justiciable
Le justiciable souhaitant refuser un avocat commis d’office doit suivre une procédure formalisée. Il doit adresser sa demande motivée au président de la juridiction concernée ou au bâtonnier, selon le stade de la procédure. Cette demande doit exposer précisément les motifs du refus, qui seront appréciés souverainement.
Les tribunaux examinent ces demandes avec attention, mais font preuve de fermeté face aux contestations purement dilatoires. Un arrêt de la Chambre criminelle du 16 janvier 2018 a ainsi confirmé qu’un refus systématique et non motivé d’avocats successivement commis d’office pouvait être interprété comme un renoncement au droit à l’assistance d’un avocat.
L’appréciation des motifs de refus s’effectue selon plusieurs critères:
- Le caractère objectif des griefs invoqués
- L’existence d’une atteinte potentielle aux droits de la défense
- Le moment procédural où intervient la demande
- L’attitude générale du justiciable dans la procédure
La jurisprudence a progressivement défini les limites du droit au refus. Dans un arrêt du 11 octobre 2017, la Cour de cassation a rappelé que le refus d’un avocat commis d’office ne peut être admis lorsqu’il apparaît comme une manœuvre visant à retarder l’audience ou à désorganiser la procédure. De même, la multiplication des refus successifs sans motif valable peut être sanctionnée.
Dans les procédures où la représentation par un avocat est obligatoire, comme devant la cour d’assises, le refus du justiciable se heurte à des limites plus strictes encore. L’article 317 du Code de procédure pénale prévoit que le président peut ordonner qu’un accusé soit représenté par un avocat, au besoin désigné d’office, même contre son gré.
La Cour européenne des droits de l’homme a validé cette approche dans l’arrêt Demebukov c. Bulgarie du 28 février 2008, en considérant que l’intérêt de la justice peut justifier l’imposition d’un défenseur contre la volonté de l’accusé, particulièrement lorsque ce dernier fait face à des accusations graves ou lorsqu’il existe un risque que la défense ne soit pas assurée efficacement.
Cette tension entre le respect de la volonté du justiciable et les impératifs de bonne administration de la justice illustre la complexité des enjeux entourant le refus d’avocat commis d’office.
Conséquences procédurales et sanctions du refus illégitime
Un refus d’avocat commis d’office, qu’il émane du professionnel ou du justiciable, peut engendrer des conséquences procédurales significatives et, dans certains cas, donner lieu à des sanctions. Ces effets varient selon la nature du refus, son contexte et sa légitimité.
Pour l’avocat qui refuse indûment une commission d’office, les conséquences peuvent être d’ordre disciplinaire. Le Conseil de l’Ordre peut engager des poursuites disciplinaires pouvant aboutir à différentes sanctions prévues par l’article 184 du décret du 27 novembre 1991. Ces sanctions s’échelonnent de l’avertissement à la radiation du barreau, en passant par le blâme ou l’interdiction temporaire d’exercice. La jurisprudence disciplinaire montre que la sévérité de la sanction dépend généralement du caractère répété du refus, de ses motivations et de ses conséquences sur l’administration de la justice.
Un arrêt du Conseil National des Barreaux statuant en matière disciplinaire le 14 septembre 2016 a confirmé une suspension d’exercice de trois mois à l’encontre d’un avocat ayant systématiquement refusé des commissions d’office sans motif légitime. À l’inverse, un refus isolé fondé sur une surcharge de travail temporaire a pu être sanctionné par un simple rappel à l’ordre.
Impacts sur la validité de la procédure
Sur le plan procédural, le refus peut affecter la validité même des actes judiciaires. Lorsque la présence d’un avocat est légalement requise, comme en matière criminelle, l’absence de défenseur résultant d’un refus non traité adéquatement peut constituer une cause de nullité de la procédure.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 mars 2012, a ainsi cassé un arrêt de cour d’assises au motif que l’accusé n’avait pas été effectivement assisté après le refus de l’avocat commis d’office, sans qu’une nouvelle désignation ait été immédiatement effectuée. Cette jurisprudence souligne l’obligation positive pesant sur les juridictions de garantir l’effectivité du droit à l’assistance d’un avocat.
En revanche, lorsque le refus émane du justiciable lui-même et qu’il présente un caractère abusif ou dilatoire, les tribunaux peuvent considérer qu’il s’agit d’une renonciation au droit à l’assistance d’un avocat. Cette renonciation doit toutefois être non équivoque et entourée d’un minimum de garanties. La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt Pishchalnikov c. Russie du 24 septembre 2009, a précisé que les autorités doivent faire preuve d’une « diligence raisonnable » pour s’assurer que l’accusé comprend pleinement les conséquences de sa renonciation.
Les conséquences procédurales varient selon les stades de la procédure:
- Au stade de la garde à vue, le refus peut entraîner la nullité des auditions si les droits de la défense sont compromis
- Lors de l’instruction, le refus peut conduire à des reports d’auditions ou à la désignation d’un nouvel avocat
- À l’audience, le refus peut justifier un renvoi de l’affaire ou, dans certains cas, la poursuite des débats sans avocat
Dans les procédures d’aide juridictionnelle, le refus illégitime de l’avocat désigné peut entraîner sa radiation de la liste des avocats acceptant les missions d’aide juridictionnelle, conformément à l’article 34 de la loi du 10 juillet 1991. Cette sanction administrative s’ajoute aux éventuelles poursuites disciplinaires.
Pour le justiciable qui refuse abusivement les avocats successivement désignés, les conséquences peuvent être sévères. Outre le risque de voir sa procédure se poursuivre sans défenseur, il peut encourir une condamnation pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du Code de procédure civile ou se voir infliger une amende civile pour obstruction à la justice.
Ces mécanismes de sanction et ces conséquences procédurales traduisent la recherche d’un équilibre entre le respect des droits de la défense et la nécessité d’assurer une bonne administration de la justice, sans permettre que le refus d’avocat commis d’office devienne un instrument de paralysie du système judiciaire.
Vers une évolution du système : réformes et perspectives
Face aux difficultés récurrentes liées au refus d’avocat commis d’office, plusieurs pistes de réforme ont été explorées ces dernières années. Ces évolutions potentielles visent à renforcer l’efficacité du système tout en préservant les droits fondamentaux des justiciables.
La question de la rémunération des avocats commis d’office constitue un axe majeur de réforme. L’insuffisance des indemnités versées au titre de l’aide juridictionnelle est fréquemment pointée comme une cause de réticence des avocats à accepter ces missions. Un rapport de l’Inspection Générale de la Justice publié en 2019 a souligné que le niveau de rémunération, fixé par l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991, ne permettait pas toujours de couvrir les frais réels engagés par les avocats, particulièrement dans les dossiers complexes.
Plusieurs propositions ont émergé pour améliorer cette situation:
- Une revalorisation substantielle de l’unité de valeur servant de base au calcul de l’indemnisation
- L’instauration d’un système de bonification pour les dossiers particulièrement complexes
- La mise en place d’une indemnité complémentaire pour les déplacements et les temps d’attente
La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a amorcé certaines de ces évolutions, mais de nombreux professionnels estiment que les efforts restent insuffisants pour garantir l’attractivité des missions d’office.
Vers une spécialisation accrue des avocats commis d’office
Une autre piste d’amélioration concerne la spécialisation des avocats commis d’office. Plutôt que de désigner des avocats selon un simple système de rotation, certains barreaux expérimentent des systèmes de désignation tenant compte des compétences spécifiques des avocats. Le Barreau de Paris a ainsi mis en place des permanences spécialisées (mineurs, étrangers, victimes) qui permettent une meilleure adéquation entre les compétences de l’avocat et la nature du dossier.
Cette spécialisation pourrait réduire les refus motivés par un sentiment d’incompétence technique et améliorer la qualité globale de la défense. Le Conseil National des Barreaux a d’ailleurs formulé des recommandations en ce sens dans un rapport adopté en février 2020.
L’amélioration des conditions matérielles d’exercice constitue un troisième axe de réforme. Dans de nombreuses juridictions, les avocats commis d’office ne disposent pas d’espaces adaptés pour s’entretenir confidentiellement avec leurs clients. La création de locaux dédiés dans les palais de justice et les établissements pénitentiaires, équipés de moyens de communication sécurisés, pourrait faciliter l’établissement d’une relation de confiance et réduire les refus liés à des difficultés pratiques.
La formation continue obligatoire des avocats participant aux permanences de commission d’office représente une autre piste prometteuse. Plusieurs barreaux ont instauré des modules de formation spécifiques, abordant tant les aspects techniques que relationnels de ces missions. Cette préparation renforcée peut contribuer à réduire l’appréhension de certains avocats face à des dossiers perçus comme difficiles.
Enfin, des réflexions sont en cours concernant l’instauration d’un statut particulier pour les avocats commis d’office intervenant fréquemment. À l’instar du système allemand des « Pflichtverteidiger« , la France pourrait envisager la création d’un corps d’avocats spécialement formés et rémunérés pour ces missions d’intérêt public. Cette option suscite toutefois des débats au sein de la profession, certains craignant une remise en cause de l’unicité du barreau.
Ces évolutions potentielles s’inscrivent dans une réflexion plus large sur l’accès au droit et la modernisation de la justice. L’équilibre à trouver reste délicat: renforcer l’attractivité des commissions d’office sans créer une justice à deux vitesses, améliorer la qualité de la défense sans alourdir excessivement le budget de l’aide juridictionnelle, spécialiser les interventions sans fragmenter la profession d’avocat.
Les expériences menées dans d’autres pays européens, notamment en Suède ou aux Pays-Bas, où des systèmes mixtes associant avocats libéraux et défenseurs publics ont été mis en place, pourraient inspirer les futures réformes françaises dans ce domaine sensible où se joue l’effectivité des droits de la défense.
L’équilibre fragile entre droits de la défense et réalités pratiques
L’institution de l’avocat commis d’office et la problématique du refus qui peut en découler illustrent parfaitement la tension permanente entre l’idéal juridique et les contraintes pratiques. Cette tension traverse l’ensemble du système judiciaire français et mérite une analyse approfondie.
Le droit à un procès équitable, consacré par les textes fondamentaux et régulièrement rappelé par la jurisprudence constitutionnelle, exige que tout justiciable puisse bénéficier d’une défense effective. Cet impératif théorique se heurte cependant à des réalités économiques et organisationnelles qui en limitent parfois la portée. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs reconnu, dans l’arrêt Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, que les droits garantis par la Convention doivent être « concrets et effectifs », et non « théoriques ou illusoires ».
Cette exigence d’effectivité pose la question des moyens alloués à la défense des plus vulnérables. Le budget de l’aide juridictionnelle en France, bien qu’en augmentation régulière (atteignant 484 millions d’euros en 2021), reste inférieur à celui de nombreux pays européens comparables. Cette limitation budgétaire affecte directement la qualité de la défense proposée et peut indirectement encourager les refus de mission.
La tension entre quantité et qualité
Un autre dilemme fondamental concerne l’arbitrage entre la quantité de dossiers traités et la qualité de la défense fournie. Les avocats commis d’office font souvent face à une charge de travail considérable qui limite le temps qu’ils peuvent consacrer à chaque affaire. Cette contrainte temporelle peut affecter la qualité de leur intervention et, par conséquent, la confiance des justiciables dans le système.
La Défenseure des droits a souligné dans son rapport annuel de 2020 que cette tension entre quantité et qualité pouvait porter atteinte à l’égalité des armes dans le procès. Elle a recommandé l’instauration de standards minimaux de qualité pour les prestations d’aide juridictionnelle, à l’image de ce qui existe déjà dans certains pays nordiques.
Le refus d’avocat commis d’office révèle également les fractures sociales et culturelles qui traversent la société française. La relation entre l’avocat et son client, particulièrement lorsqu’elle n’est pas choisie mais imposée par les circonstances, peut se heurter à des incompréhensions mutuelles. Les différences de milieu social, de niveau d’éducation ou d’origine culturelle peuvent compliquer l’établissement d’une relation de confiance nécessaire à une défense efficace.
Plusieurs initiatives tentent d’adresser ces défis:
- Le développement de formations interculturelles pour les avocats
- La mise en place d’interprètes spécialisés dans le vocabulaire juridique
- L’élaboration de supports d’information adaptés aux différents publics
La question de l’indépendance de l’avocat commis d’office constitue un autre enjeu majeur. Certains justiciables perçoivent parfois ces avocats comme des auxiliaires du système judiciaire plutôt que comme leurs véritables défenseurs. Cette perception, bien qu’erronée sur le plan juridique, peut nourrir une méfiance conduisant au refus. La Cour de cassation a régulièrement rappelé, notamment dans un arrêt du 8 juillet 2015, que l’avocat commis d’office jouit de la même indépendance que l’avocat choisi et est soumis aux mêmes obligations déontologiques.
Enfin, le phénomène du refus d’avocat commis d’office s’inscrit dans un contexte plus large de défiance envers les institutions. Les enquêtes d’opinion montrent une érosion de la confiance des citoyens dans le système judiciaire, particulièrement parmi les populations les plus précaires. Cette défiance institutionnelle peut se cristalliser dans le refus de l’avocat perçu comme un représentant du système.
Pour répondre à ces défis multiples, une approche holistique semble nécessaire, combinant réformes structurelles du système d’aide juridictionnelle, valorisation de la mission d’avocat commis d’office, et initiatives visant à renforcer la confiance dans les institutions judiciaires. Les Maisons de Justice et du Droit, les Points d’Accès au Droit et diverses associations jouent un rôle croissant dans cette médiation entre les citoyens et l’institution judiciaire.
L’équilibre à trouver reste délicat et en perpétuelle évolution, reflétant les transformations de la société française elle-même. Le refus d’avocat commis d’office, au-delà de sa dimension juridique, constitue ainsi un révélateur des tensions qui traversent notre rapport collectif à la justice et à ses acteurs.